Il est souvent conseillé de traiter des sujets "simples" présentant une palette limitée. Vous allez me dire, un sujet avec un personnage, des ombres fortes, des lumières franches, ce n'est pas forcément gagné d'avance. Je suis bien d'accord. Mais comme la photo que j'ai choisie aujourd'hui est assez monochrome j'ai tout de même tenté le pari.
Temps de réalisation : 4h
Difficulté : confirmé
Ingrédients
¤ Une belle photo de voyage
Matériel
¤ Votre palette habituelle avec plein de bleus
¤ Du noir de mars
¤ Des pinceaux plats, brosses, biseaux et spalters en synthétique.
¤ Un pinceau en martre pour les détails.
¤ Papier Moulin du Coq, le Rouge, grain FIN, en bloc contrecollé.
fig 1 Il s'agit du marché aux poissons dans une ville du Kérala. C'est l'après-midi et presque tout le monde est parti. Les marchands rangent leurs étals.
Une lumière bleue totalement artificielle résulte du filtrage qu'opèrent les bâches en plastique, omniprésentes en Inde. Là-bas, ils en font des toits, des voiles de bateau etc ..
Nous aurons donc besoin de tous nos bleus: ceruleum pour le sol, cobalt et outremer pour le ciel, ainsi que bleu winsor (tendance rouge ou verte) pour les foncés. J'emploierai aussi en petites quantités, le noir de mars qui sédimente.
Attention : Chaque bleu a sa caractèristique propre, le ceruleum, opaque, sédimente, mais sa teinte est claire. L'outremer sédimente aussi mais il est plus violacé. Le Bleu winsor, transparent, sert ici à intensifier les sombres.
fig 2 Des bleus de différentes marques : Blockx, Rowney, Winsor et Newton et laque écarlate en contre-point. Ainsi que le noir de mars.(W et N)
Ma palette habituelle me sert de base, pour tous les petits ajouts, ainsi que pour casser les bleus ou le noir lorsque je ne veux pas les utiliser purs.
fig 3 Une grande palette presque propre.
MA PALETTE:
Colonne de gauche : Coin des bleus dont un bleu* blue lake White Nights, devenu presque introuvable, un outremer, bleu cobalt, bleu ceruleum, turquoise de cobalt clair, bleu winsor rouge, et blanc de titane (non lavé)
Colonne horizontale en haut : jaune indien, jaune Blockx, ocre, vert phtalo
Colonne de droite : Coin des rouges; différents rouges et roses dont rose opéra et laque écarlate, puis rouge Blockx, rouge winsor,orange de Schmincke, alizarine, noir de mars, violet dioxazine
Mes pinceaux : deux petites martres, un biseau synthétique, une brosse synthétique, un spalter, un long pinceau Cobra pour les enlevés fins.
Mais revenons à notre marché ...
Il va bien falloir commencer par quelque chose. Pour nous y aider, faire un croquis a le mérite de rendre les idées claires. Je vous conseille d'utiliser un feutre aquarellable noir et un bleu. Le croquis, pour être efficace, comme ceux utilisés dans la Bande dessinée pour les story boards, sera petit, format moitié de carte postale, ça suffit.
Dans un premier temps, liez les éléments sombres entre eux, ensuite ajoutez le bleu (la vedette) puis, finissez par humidifier pour visualiser quelques "effets aquarelle" (fusions) dans les valeurs moyennes. Ainsi vous obtiendrez : blanc(papier) lumière, tons moyens, couleur (bleu) à valoriser, et valeurs sombres liées entre elles.
fig 4 5 6 Ce croquis vous permet aussi de voir très vite les erreurs de perspective grossières comme dans le premier jet sur le mur de l'échoppe à gauche par exemple.
A présent qu'on visualise bien les liaisons à faire entre les sombres et la lumière à préserver autour du personnage, il est temps de passer à la peinture.
Ici, nous avons opté pour un démarrage sur papier sec, avec un spalter fin et large,(Da Vinci) bien pigmenté. Nous couvrons les parties que nous souhaitons teinter, dans les couleurs bleutées dominantes, en essayant de ne pas occulter les parties à laisser en lumière, donc en blanc papier.
Un peu Kamikaze, je me lance sans dessiner...comme ça je ferai plein d'erreurs et je vous montrerai comment rattraper tout ça...
fig 7 Sans attendre que ça sèche , j'avance mes couleurs avec le spalter, de gauche à droite et de haut en bas.
Si à un moment, je me sens un perdue, rien ne m'empêche de sécher mon aquarelle et de reprendre un peu le dessin au crayon ou au criterium.
Mes deux élèves "test" sont plus raisonnables et ont tracé quelques repères de proportions et de directions avec un criterium.
Il suffira de gommer à la gomme mie de pain tous les restes de traits indésirables une fois l'aquarelle séchée.
fig 8 et 9 Le blanc-lumière est laissé sec. On avance morceau par morceau, sans se soucier des auréoles...qui partiront sur papier sec, si on le souhaite, juste en réhumidifiant la zone.
Attention : Une hésitation arrive lorsqu'il faut contourner le halo lumineux entourant le personnage.. Aurait-il fallu le préserver avec de la gomme à masquer ? ... La réponse est claire : ici, non. Sur papier sec, nous parvenons sans trop de difficulté à contourner la silhouette sans rogner la part de lumière qui l'entoure. Les difficultés viendront d'ailleurs ..
fig 10 La lumière du personnage est effectivement "préservée" , mais à quel prix ?
On voit ci-dessus que le personnage n'est pas intégré dans l'ensemble dés le premier passage, il sera donc plus difficile de l'intégrer dans la composition au final. Il risque de toujours rester trop "en avant".
fig 11 Ici, le personnage est bien intégré au premier passage, mais il faut nuancer davantage les masses qui sont autour, sinon, notre homme cette fois risque de ...disparaître un peu trop peut-être.
fig 12 TRUC : Pour nuancer, on peut laver certaines parties pour les atténuer.
On voit bien ci-dessous à quel point le traitement des valeurs change une ambiance dans une peinture.
fig 13 D'une part, nous avons un touriste américain qui se promène, décontracté, les mains dans les poches.
fig 14 Et d'autre part, une immense silhouette, assez baraquée, qui fonce sur nous, émergeant de l'ombre.
Les deux personnes ayant accepté de participer à ce "test" ont deux personnalités d'aquarelle aux antipodes l'une de l'autre : Laurence qui est en 3éme année aborde l'aquarelle à présent avec moins d'appréhension mais hésite encore à pigmenter intensément, alors que Graziella qui attaque sa cinquième année avec moi en cours, a au contraire tendance à densifier généreusement la quantité de pigment dans son pinceau.
La première devra donc contrebalancer ses doutes en superposant davantage de couches de peinture alors que la seconde devra, notamment avec les opaques, naturellement déjà lourds, apprendre à alléger, afin de dégager quelques transparences.
Dans la réalisation que je propose pendant le cours, je tente une troisième voie, où le personnage ne prendrait pas la vedette et serait intégré comme une silhouette bien à sa place, et où la pigmentation, entre l'opacité et la transparence, serait à sa juste place pour servir l'ambiance de mon sujet.
fig 15 Par rapport au croquis de départ j'ai respecté les endroits réservés aux sombres et ceux où il fallait laisser passer la lumière. Le personnage est présent mais ne ressort pas de l'ensemble. Il ne s'y noie pas non plus.
On peut à présent adoucir certaines parties de la peinture qui seraient trop délimitées comme ci-dessous les bâches en haut à droite. dans ce cas, il suffit de les remouiller délicatement.
fig 16 Avant d'être adoucie ...
fig 17 Après. On voit ici l'effet de sédimentation typique du noir de Mars, une fois ré-humidifié.
TRUC : C'est le moment de corriger certaines erreurs, comme l'ombre en dessous du pied droit, qui a été éffacée avec un pinceau brosse, à l'eau, Puis on a séché et repeint. Sur ce papier qui n'absorbe pas les pigments en profondeur, le bleu s'efface très facilement.
fig 18 L'ombre à gauche en dessous du pied droit est enfin à sa place. Des enlevés ont été réalisés au sol afin de créer un effet de flaques de lumière.
fig 19, 20, 21 Autre exemple de rectification ...la main droite du personnage était mal placée.
Il faut à présent correctement doser les détails qu'on va pouvoir apporter à la scène pour bien la replacer dans son contexte, en évitant toutefois de sombrer dans l'anecdotisme qui consisterait à rapporter le moindre objet.
Nous allons donc employer les bons vieux glacis : jus légers et transparents posés avec un pinceau en martre doux, sur de grandes surfaces à lier ensemble.
fig 22
Au final, nos trois réalisations sont très différentes. Malgré les consignes de départ, le bleu dominant n'est perçu comme n'étant ni le même, ni de la même intensité par chacune des participantes.
Bilan : Malgré une trame de dessin à peu près similaire, les ambiances sont donc elles aussi très différentes. On voit donc comme dans une composition, l'intensité colorée, ainsi que l'importance accordée à un personnage peuvent changer radicalement un sujet.
Attention : S'il est préférable de laisser le blanc en papier sec pour obtenir un impact visuel maximal, les noirs de la photo sont trop noirs et gagnent à être colorés.
Retour de Laurence qui a participé à cet exercice test :
"J'ai un peu eu l'impression de me trouver face à l'Himalaya en tongues et hop, il fallait y monter. Il y avait tant de détails, moi qui ai tendance à tout vouloir retranscrire, c'était quasi mission impossible (je n'aurais jamais tenté un sujet pareil toute seule). Alors bon, quand faut y aller, faut y aller. Et en suivant tes conseils, en te regardant avancer, et bien, je me suis lancée. Je n'ai pas trop l'habitude du spalter et je ne savais pas trop quoi faire de tous ces détails. Mais au final, je dirais que ça aurait pu être pire. Ca m'a montré une façon de faire justement sur des sujets si complexes mais il faudrait que j'en refasse un certain nombre pour arriver à tout comprendre. Et ça a bien confirmé que pour avoir de belles lumières, il faut de grands contrastes. Je pense que je vais le laisser reposer un peu et je le réessayerai d'ici quelques semaines."